Fragments du Néant #1
Fragments du Néant #1

Fragments du Néant #1

Extrait #1 du roman en cours d’écriture « Le Néant et la Nuit »

Il passa à ce moment devant un magasin de chaussures et tout ce qui s’y trouvait le dérangeait, lui faisait presque horreur même. Cet étalage d’un blanc parfait, lavé et brossé tous les matins, agencé intelligemment pour ainsi dire, les chaussures neuves, lustrées, orientées vers telles ou telles directions en fonction de la luminosité, les petites étiquettes indiquant le prix, tous ces détails tout à fait normaux dans n’importe quelle vitrine l’offensaient quasiment. Il voyait là non pas des chaussures, mais du néant. Le fait que tout cela était consenti par tout le monde le répugna et lui donna la nausée.

Certes, certes… Tout le monde a besoin de chaussures… Mais, ici, ce ne sont pas que des chaussures ! Comment peut-on n’y voir que des chaussures d’ailleurs ? C’est là bien autre chose que des chaussures ! Je n’y vois là qu’une horreur terrible ! Une horreur tenant place dans le quotidien et donc dans la vie tout entière… Remplaçant même la vie en réalité…La vie n’étant plus que cette horreur… Une horreur qui pousse un soir un homme à examiner sa chaussure et se dire « dites donc, cette chaussure n’est plus à ma mesure cette chaussure me dévisage en quelque sorte, comme si elle me tirait la langue derrière le dos. Oui, il me faut d’autres chaussures ! » Et la raison n’est pas qu’il soit absolument nécessaire d’avoir d’autres chaussures ! Non ! Celles-ci pouvant être en réalité usées jusqu’à la semelle et il serait alors tout à fait indiqué de changer de chaussures ! Mais dans ce cas, il n’y aurait pas des vitrines, et des étiquettes, et une orientation en fonction de la lumière, il n’y aurait que des chaussures… Mais ici… Une horreur ! Bien sur que l’on peut vouloir choisir sa chaussure, mais ce qu’il y a d’horrible c’est d’accepter que cette question soit importante au point qu’il y ait des vitrines et des étiquettes et des orientations dans telle ou telle direction. Et puis quoi ? En voilà un monde tiens ! Dans lequel un choix important est celui de sa chaussure… Une horreur… Une terreur même que de vivre dans un tel monde… Car au fond, ce n’est pas la chaussure le problème… Non… Ni un manteau, ou quelconque bibelot… Le problème au fond, c’est de dire qu’on fait partie d’un monde qui choisit sa chaussure. De faire partie de cet ensemble… De se dire que, finalement, accepter de choisir sa chaussure, c’est faire partie de l’humanité… C’est perdre finalement son caractère exceptionnel. L’homme qui choisit sa chaussure deviendrait ainsi un homme ordinaire… ? Non pas parce qu’il choisit sa chaussure ; encore une fois, mais parce que de ce fait, il accepte de faire partie des hommes qui choisissent leurs chaussures. En voilà une malédiction… En voilà un caractère exceptionnel ! Celui des hommes qui scrutent leur chaussure un soir et se disent qu’il est bon d’en changer ! Et même, bigre… Peu importe les chaussures… Quelle obstination j’ai ici pour une chaussure.. Le problème n’est pas celui-là… Qu’importe les chaussures ! Le problème est de ne pas être terrorisé de vivre dans un tel monde ! Le problème est de n’y voir là que des chaussures… Et de ne pas y voir l’humanité ! Ou une partie du moins… La plus vulgaire... La plus commune… Rien que cette idée me répugne. De devoir leur appartenir… D’être comme eux… Parce que j’accepte de choisir une chaussure. Et pire ! Que je sois flatté par les vitrines, les étiquettes et par l’orientation dans telle ou telle direction…

Il y a donc là bien plus que des chaussures, il y a là une condition humaine. Voir même pire, une nature humaine. Voilà ce qui est terrible dans ces chaussures. Ce ne sont pas les vitrines, ou les étiquettes, ou l’orientation, mais l’acceptation d’une nature humaine. L’acceptation d’une essence… Celle de l’homme qui choisit sa chaussure. En cela, la chaussure ne fait que priver l’homme de son caractère exceptionnel.

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