Extrait #3 du roman en cours d’écriture « Le Néant et la Nuit »
Après quelques secondes d’hésitation face à ce spectacle macabre, face à ce spectre déchiré de la vie, Pierre K., mettant de côté sa colère personnelle et retrouvant cette empathie qu’il avait pour les personnes plus misérables, petites ou désespérées que lui, répondit au vieil homme :
« Bonsoir. Oui, dites-moi. Qu’est-ce que vous voulez ?
– Eh bien, pardonnez-moi, lui dit le vieil homme ne tenant toujours Pierre par le bras, mais je vous voyais marcher ici et là, tourner en rond en quelque sorte, et je me suis dit que vous deviez être quelqu’un d’important ! Oui c’est ça, je me suis dit que vous étiez sans doute une importance ! Peut-être ministre ou médecin. J’ai vu cela rien qu’à votre façon de marcher. Vous êtes bien médecin Monsieur ?
– Et bien, pas vraiment non, désolé, je … , tenta de répondre Pierre en se grattant la tête et en tentant de récupérer son bras.
– Ce n’est pas grave Monsieur, vous avez une tête de médecin. Oui, vous étiez sans doute médecin, insista le vieil homme en tirant toujours sur le bras de Pierre. Vous pouvez donc m’aider. J’ai rendez-vous en ce moment, avec des charlatans pour tout dire, des psychiatres qu’ils appellent ça. Et savez-vous ce qu’ils me disent ? Je vais vous le dire Monsieur. Ils disent que je suis névrosé. Mais je ne sais même pas moi ce que c’est que la névrose. On me dit ça, je suis névrosé, et je devrais prendre ça comment ? Est ce une maladie ? Une sorte de pneumonie par exemple ? Vous savez vous, Monsieur, ce que c’est que la névrose ? »
[…]
« Et bien, Monsieur, dit Pierre dans l’idée de le réconforter un peu, la névrose est un peu comme une maladie mentale, qui peut vous faire souffrir intérieurement par exemple, qui peut vous faire vous sentir mal, dans la tête.
– Mais c’est peut être ça alors qui me fait si mal ? J’ai toujours mal Monsieur, docteur pour ainsi dire, je me sens toujours mal, je ne sais pas pourquoi. C’est terrible. Je ne sais pas si vous vous sentez mal Monsieur, mais c’est vraiment horrible d’être toujours si mal. Est-ce que vous pensez vraiment que je suis névrosé Monsieur ? Vous qui êtes docteur vous pouvez peut-être me le dire ?
– Mais je ne suis pas docteur, je n’en sais rien. Il faudrait vous examiner, je ne peux rien dire comme ça ?
– Mais vous en pensez quoi Monsieur ? S’il vous plaît, dites-moi ce que vous en pensez. C’est terrible de souffrir toujours comme ça, sans savoir pourquoi. J’ai besoin d’aide. Personne ne me parle jamais. Vous qui êtes docteur, aidez-moi s’il vous plaît. Vous en pensez quoi ?
– Mais je ne peux rien vous dire comme ça. Il faut vous faire examiner ! Que vous ont-ils dit ? De quoi souffrez-vous exactement ?
– C’est dans la tête Monsieur, c’est comme une torture, comme si on me déchirait le cerveau Monsieur et qu’on y glissait des idées malsaines. Et c’est comme ça toute la journée. Et je m’imagine des choses terribles ! Si vous saviez Monsieur ! J’imagine qu’on me suit dans la rue, et que des malhonnêtes veulent me kidnapper et me faire des atrocités ! Vous ne voulez pas me suivre Monsieur, et me kidnapper ? Pas un docteur quand même !
– Non, non, pas du tout, absolument pas, rassurez-vous.
– Je m’en doutais. Quand je vous ai vu, quand j’ai vu votre visage, je me suis dit voilà un homme bon, voilà un homme qui pourra m’aider, voilà un vrai docteur, pas un charlatan. J’ai vu tout ça rien que dans votre visage. Vous mériteriez même d’être ministre ou gouverneur ! J’espère au moins que vous gagnez bien votre vie Monsieur, que vous êtes heureux !
– Et bien, à vrai dire, pas vraiment…
– Ah, mais c’est une catastrophe, dans ce pays, on ne fait plus confiance aux honnêtes gens, on donne tout l’argent aux escrocs et aux kidnappeurs. C’est une tragédie. C’est aux gens comme vous qu’il faudrait donner de l’argent, vous qui êtes si bon, vous devriez être riche ! Ah mais que d’injustice dans ce pays ! Et ils veulent enfermer un homme comme moi, qui a travaillé dur toute sa vie. N’est ce pas injuste ça aussi Monsieur ?
– Mais non, rassurez-vous, ils ne vont pas vous enfermer. Ils vont vous faire quelques examens et peut-être vous donner des médicaments, c’est tout, vous n’êtes pas névrosé.
– Ah que je suis content de vous l’entendre dire, ah comme cela fait du bien d’être écouté, d’être entendu par un honnête homme. Il dit que je ne suis pas névrosé, quel bonheur ! Et bien, Monsieur, je vais vous laisser. Je vous remercie tellement, si vous saviez, tellement. Au revoir.
– Au revoir. »